Lenneth s’approche de sa louve, Svitnà.
Dans le sac de cuir fermement attaché à l’encolure de son armure est lovée une chèvre prête à mettre bas. Cela fait quelques minutes maintenant qu’elle ne bêle plus, son travail ne devrait plus tarder. Elle attèle Svitnà et inspecte l’orée du bois. Elle sait qu’elle n’a pas d’autres choix.
Face aux ombres menaçantes des Aulnes et des sorbiers, elle inspire profondément et cherche les mots. Ceux qui permettront à sa monture de ne pas siller, d’avoir la force et l’endurance pour traverser cette nuit fatidique. Ceux qui donneront à Svitna toute la puissance et la célérité de son ancêtre, le fils du Dieu Loki. Haut perché sur une branche, un corbeau, aux reflets d’émeraudes et de Jais fixe Lenneth. Une fois repéré, il s’envola brusquement.
Odin n’a de reste de veiller à ce qu’elle accomplisse sa mission et, alors qu’elle récupère une plume qui délicatement s’était échue sur son épaule, les mots lui vinrent.
Sans perdre de temps, elle chevaucha Svitna et rapprocha ses lèvres de l’oreille de la bête pour qu’elle seule puisse entendre son souffle :
« Bragð, Svitna, Bragð ísabrögð »
Les paroles divines eurent immédiatement l’effet escompté. La louve s’élança d’un bond dans l’obscurité des bois et Lenneth sentit qu’elle traverserait la forêt à pas de géant. Les griffes de Svitnà étaient devenues telles qu’elles étaient capables de briser la roche, ses foulées faisaient trembler la terre, rien ne pourrait les arrêter. Elles pensaient atteindre le lac avant le lever du jour et c’est ce qu’elles firent.
Il n’avait même fallu que quelques minutes, Svitnà les avait menées à destination. Elle était arrivée à temps.
La pauvre bête était à bout de souffle. Son corps ne supporterait plus autant de puissance, ne fut-ce que quelques secondes de plus et Lenneth, le pied à peine posé sur le sable, ne la quitta pas du regard. À mesure que les griffes du fauve se rétractaient, le souvenir que Lenneth avait insufflé s’évaporait. Et la louve, à peine quelques secondes après leur arrivée, s’effondra sur son flanc dans une plainte profonde et déchirante.
Lenneth savait.
Elle était déjà auprès d’elle lorsque la louve cherchait du regard l’origine de cette souffrance. Le fauve avait été brisé. La valkyrie, qui délicatement avait disposé le museau de la bête sur ses genoux, passait tendrement ses doigts dans son col et sur son échine pour l’apaiser. Elle lui murmurait le souffle d’Eir, à plusieurs reprises, comme une comptine, et ce jusqu’à ce que la flamme dans ses pupilles ne s’éteigne.
L’âme de Lenneth n’avait pas été forgée dans le même acier que ses sœurs. Elle accompagnait les vivants autant que les morts, dans l’éclat de leurs débuts jusqu’aux crépitements de leurs fins.
Ne resterait qu’à guider son âme jusqu’aux portes du Valhalla, quoi qu’en pense Odin, chose qu’elle ferait dès lors que sa tâche serait accomplie.
Elle reposa tendrement la tête de Svitna sur le sable qui venait de donner son dernier soupir et jeta un rapide coup d’œil alentour. Elle devait se présenter au centre du lac et espérait que cet acte suffirait à calmer les géants tapis dans ses abysses. Ces invisibles jaloux, avides du divin et annonciateurs de chaos. Un bellement strident la sortit de ses pensées. La chèvre, dans son sac, commençait son travail, il était l’heure.
Alors Lenneth, déterminée, entama sa course en direction du lac. Elle courut, chevaucha les troncs sur son passage et sauta sur l’eau sans s’y engloutir. Elle continuait sa course, le pas vif et sans un bruit. Ses jambières martelaient la surface de l’eau, projetant de fines particules aquatiques comme de la pluie fine sur l’immensité sombre. C’est à son ombilic qu’elle devait se rendre, c’est en son sein qu’elle devait les répandre.
Une fois cernée par la brume, elle ralentit le pas, pour finalement interrompre sa course. Elle ne distinguait rien, tout était opaque. Elle était arrivée. Elle sortit lentement la chèvre de son sac et la blottie contre elle. L’animal mit bas, sans un bruit, et ce furent deux petits chevreaux qui naquirent au cœur du brouillard. Ce dernier était si épais, que même leur cri ne saurait advenir jusqu’aux berges du lac.
Délicatement, elle sortit le couteau de sa ceinture et, aux premiers cris des nouveau-nés, les égorgea dans un coup sec. Elle s’agenouilla rapidement et, d’un geste sûr, porta les êtres meurtris à la surface de l’eau pour que leurs plaies ne soient qu’en partit immergée.
En déversant ce sang, elle ne troublerait pas leur sommeil, mais le prolongerait, au moins pour quelques centaines d’années encore. Le prix de l’innocence dilué avant les premières lueurs du jour, à cette seconde où la nuit est la plus sombre et l’atmosphère la plus glaçante, dans une vaine tentative de noyer l’étincelle d’une guerre qui ne connaitrait aucun vainqueur : Ragnarök.
Timothy
Le couple d’oiseaux fantastiques regardait avec perplexité la petite flamèche qui brûlait dans leur nid depuis des semaines. Car il avait beau être un animal mythologique, le phénix n’en était pas moins un animal, alors comment leur expliquer que leur petit rejeton était mort-né ?
Vincent Corlaix
Il existe une espèce animale très mystérieuse, que les chercheurs n’ont pas classifié encore, faute d’en avoir trouvé la moindre trace. À vrai dire, ils ignorent encore son existence.
Il s’agit d’un petit mammifère, entre le rongeur et l’oiseau, qui aurait vécu probablement vers la fin du crétacé. Peut-être. C’est pas du tout sûr, en fait.
En fait, si on ne sait rien de cette créature, c’est surtout parce que lorsque fut organisé le grand concours planétaire de cache-cache, elle a gagné haut la main.
Certains la cherchent encore, paraît-il.
Vincent Corlaix
Il avait rêvé de détenir ce pouvoir depuis sa puberté. Il se cachait à lui-même cette triste vérité, mais toute sa carrière scientifique avait été fondée sur la recherche de cette expérience particulière ; devenir invisible. Pour aller mater les filles sous la douche. Et, il avait réussi !
Sa formule avait marché, et il se l’était injectée. En quelques heures douloureuses, il était devenu invisible, totalement transparent. Et, par le fait, complètement inconsistant. Il n’avait plus aucune densité, il était devenu plus éthéré encore qu’un gaz.
Sans plus de circuit hormonal et de poussée de sang, l’intérêt qui l’avait guidé durant toutes ses années d’études et de recherches venait de s’évaporer… en même temps que lui.
Vincent Corlaix