Miquella, l’endormi. Malenia, l’éveillée. Il n’en fallait qu’un, ils furent deux. Ceci est le discours d’un Roi à son fils.
Dans la salle du trône, le roi Gideon Ofnir, 2ème du nom a sommé son seul et unique fils Thomas Ofnir. Le sacrement du jeune prince ne saurait tarder, Gideon vieillit et son corps s’affaiblit. Il voudrait que son fils unique prenne les rênes du royaume, et ce dès que possible. Le jeune prince ne se fait pas attendre et rejoint son père dans la salle du trône aux premières lueurs du jour. Gideon, une fois son fils présenté à lui, demande à ses sujets et à ses conseillers de quitter la pièce.
C’est un moment solennel durant lequel Gideon transmettra à son fils la « bonne parole » et, comme toute histoire, celle-ci commence par une légende. Ceci est le début de cette histoire.
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Le roi Gideon, jusque-là assis sur son trône, se redresse et invite son fils à s’approcher de lui. Il tourne la tête vers la gigantesque statue de Reine Marika, derrière lui, et s’adresse à son fils :
« Thomas, aujourd’hui je vais te parler de Miquella et Malenia. Ce sont les enfants de feu Reine Marika que tu voies là, derrière ce trône. Ils ont vécu dans ce château un bref instant, alors que notre royaume était encore gouverné par les divinités. C’était il y a longtemps. »
Le Père Gideon sort de sa poche un écu doré puis présente à Thomas l’avers sur laquelle le visage d’un jeune homme y est gravé.
« Sur cette face, c’est Miquella que tu regardes » à ces mots, le visage de Gideon s’attendrit, un sourire se dessina sur son visage alors qu’il continua :
« On n’eut jamais vu plus bel enfant ! La douceur de ses traits n’avait d’égal qu’à la pureté de son âme. Il inspirait la bonté, la joie et surtout l’amour à quiconque le rencontrer. Quelque chose chez cet enfant poussait tout homme à la dévotion. Il insufflait la quiétude et la paix. »
Un court instant, son esprit paru songeur. Il fît une brève pause - son sourire rassurant s’effaçant lentement à mesure que les secondes s’écoulaient - puis repris le cours de son récit :
« Cependant, plus le temps passait, plus le petit garçon devenait souffrant. Un beau jour il cessa de vieillir et son sommeil devint troublant… Aucun guérisseur, médecin ou homme de foi ne connaissait l’origine du mal qui le rongeait. Toutes les nuits, alors que les rayons de la lune traversaient la chambre du jeune garçon, ces cheveux devenaient soie et s’enroulaient autour de lui comme un cocon. On n’eut jamais vu pareille chose ! Dans la chrysalide, sa torpeur était si profonde que personne n’eut réussi à l’en sortir. »
Le Roi jeta rapidement son regard sur une parure blanchâtre posée délicatement à côté de son trône. Les premiers rayons de soleil s’y reflétaient en mille éclats étincelants, illuminant chaque recoin de la salle de petits fragments de couleurs chatoyants, puis le souverain continua :
« On dit de cette chape qu’elle est faite des cheveux de Miquella. Toute la soie de son cocon aurait été récupérée après sa disparition… et une couturière en a fait la plus belle des étoffes du royaume en guise d’hommage au jeune dieu. » Alors que son fils contemplait les fils luisants ornés de pierres précieuses qui tombaient en tresses argentées sur la chape bleutée son père lui présenta le revers de la pièce dorée. Celle-ci présentait le profil d’une femme casquée d’un heaume ailé.
« Malenia, que tu voies là, c’était autre chose. Ce fut la première à sortir du ventre de sa mère et l’on raconte qu’elle avait hérité de toute la force et l’assurance dont sa mère faisait preuve. Téméraire, elle inspirait le défi, la puissance et la grandeur. Elle n’avait nul besoin d’imposer sa place ou de faire valoir son rang. Sa taille d’ailleurs ne laissa aucun doute quant à son ascendance divine. Plus grande qu’aucun homme, sa musculature dessinée et sa grâce témoignaient d’une lourde discipline. Ses yeux étaient de petits onyx aux reflets dorés et sa chevelure ardente comme la braise ne faisait que témoigner de la flamme qui l’habitait. C’était une combattante dont la dextérité n’avait d’égal que sa bravoure. L’art de la lance, de l’archerie et de l’épée — dont elle préférait le dernier - n’avait aucun secret pour elle. Dans les tournois, elle demeurait invaincue et semblait ne jamais vaciller. On disait d’elle qu’elle piquait, transperçait et pourfendait ses assaillants à l’aide d’Aiguille, la lame forgée par sa mère Marika. »
Son père orienta doucement la pièce pour la situer face à la lumière. Ainsi positionné, son reflet éblouit momentanément le visage du jeune garçon. Gideon, fort satisfait de l’éclat que donnait sa monnaie, la logea de nouveau dans sa poche et s’agenouilla face à son fils afin de mieux lui exposer la suite de son récit :
« Si je te raconte encore cette histoire, c’est pour que tu comprennes l’enjeu de tes prochaines fonctions Thomas. Peux-tu me compter la suite mon fils ? »
À sa demande, Thomas chercha dans ses pensées la suite de la légende. Il reconnut la tournure que prenait cette discussion et, le regard admiratif et le cœur empli de fierté, il s’élança dans la narration de la fin de ce comte qui l’avait bercé lors des nuits d’été :
« Le premier jour de l’an Septon, à la tristesse de ces jeunes enfants, Reine Marika quitta notre terre et abandonna son royaume à ses descendants : Miquella, dont la maladie l’avait plongé dans un profond sommeil et Malenia, dont la seule volonté résidait dans la protection de son frère aimé. Tous deux n’avaient que faire du sort des mortels. Ils étaient des êtres divins et en voulaient au destin de leur avoir enlevé leur mère. Malsénia sombra dans le chagrin, Miquella dans son cocon de soie ne donna plus signe de vie. Ils n’étaient pas faits et encore moins prêts pour régner. Ils représentaient les derniers dieux sur nos terres sacrées, mais les jumeaux, à jamais liés depuis leurs naissances, n’existaient que dans les yeux de l’autre. Le royaume, sans guidance, fut laissé à l’abandon et finit inévitablement par s’effriter. »
À ses paroles ce fut au tour du jeune dauphin de regarder son père avec gravité. Il connaissait bien les faits qui ponctuaient la fin de l’histoire : les tentatives d’assassinat sur Miquella, le palais dont le marbre avait pris la couleur du sang séché et l’odeur saisissante des morts qui le jonchaient… Puis finalement, le meurtre présumé de Malenia quelque temps après la disparition de Miquella qui, un matin, n’avait laissé derrière lui qu’une chrysalide vide, abandonnée. Personne n’avait réussi à retrouver le corps des jumeaux. De la divine fratrie ne restèrent que leurs reliques sacrées : la chape et l’épée.
Le jeune garçon, le Comte terminé, posa un regard insistant sur son père, l’actuel roi de ces terres. Le constat était là devant lui : un monde fait par les dieux, mais gouverné par les hommes. Le petit garçon fronça les sourcils, sa foi en son père était inébranlable, mais cet état le laissait bien perplexe. Son père, le trouvant perdu dans ses pensées, comprit l’enjeu et reprit la parole :
« Je sais ce que tu penses, mon fils. Aujourd’hui, ce sont les hommes qui gouvernent les hommes dans un homme où seuls les dieux ont le droit de régner. »
À ces mots, Thomas baissa les yeux. Gideon, touché par sa candeur, lui releva délicatement le menton et posa de nouveau son regard dans le sien.
« Mon tendre fils, mon prince, Nous les derniers hommes de l’entre-Terre, avons pour seul devoir de nous montrer dignes de ce qu’ils nous ont légué. C’est à nous qu’il advint de décider de notre sort. Marika, Miquella et Malénia ne nous ont pas abandonnés, au contraire. Ils nous ont confié une mission, c’est dans les empreintes laissées sur leur passage que nous devons marcher. » À ces mots, Gideon jeta un rapide coup d’œil à la statue de Marika. Sculptée dans l’or brut, sa splendeur se révélait à mesure que les premières lueurs du jour l’illuminaient. La présence de la Déesse semblait plus certaine que jamais. Il regarda de nouveau son fils et lui tendit le fourreau dans lequel se trouvait Aiguille, la lame de légende. Il prit le temps de contempler Thomas, jamais il n’avait été aussi sûr de l’avenir qu’aujourd’hui.
« Le jour viendra où, en tant que Roi, tu devras te montrer digne de porter cette chape et faire preuve de suffisamment de force et de courage pour brandir vaillamment cette épée. »
Thomas se vit délicatement posée entre ses, mais Aiguille, la lame de légende. Il fut surpris de son poids, son apparence allait de concert avec sa légèreté.
Enfin, Gideon, avec le ton rassurant d’un père et l’assurance inébranlable d’un Roi, s’adressa alors une dernière fois à son fils en pesant chacun de ces mots, telle une prière :
« Mon fils, si ton cœur reste pur et que tu œuvres toujours dans le souci d’aider les tiens. Alors toi, et toi seul, sera à même de tisser le destin de notre peuple. »
Timothy