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Fantômes & âmes en peine

L’atelier ouvert — Mars 2023

Atelier de Mars – Fantômes & âmes en peineAtelier de Mars – Fantômes & âmes en peine

Les spectres hantant le grand hall du manoir abandonné avaient organisé une monumentale saturnale. N’ayant ni limite ni notion du temps qui passe, la fête durait depuis presque un siècle. Malheureusement, elle manquait cruellement d’alcool.

Vincent Corlaix


Le petit fantôme hantait en rond l’immense demeure familiale qui tombait en ruine. Seul spectre, prisonnier du lieu par des liens intangibles et mystérieux, il s’ennuyait depuis des siècles.

Un jour, des enfants du quartier se livrèrent à un match de foot sur le terrain voisin. Le petit fantôme les observa avec envie, jusqu’à ce qu’un tir mal cadré envoya le ballon s’empaler sur l’une des pointes de la grille du domaine.

Il attendit le soir, plein d’impatience, avant de s’approcher. Et découvrit que son vœux s’était réalisé ; le fantôme du ballon l’attendait au pied de la grille.

Vincent Corlaix


Il la voyait enfin. Cela faisait des années qu’elle ne vivait plus à ses côtés. Il avait appris à vivre sans elle. À se lever le matin dans des draps vides. À prendre un petit déjeuner dans un silence étourdissant. À se rendre au travail par réflexe. Les jours s’étaient succédé les uns après les autres. Ils n’avaient plus de sa saveur ni de son odeur.

Il avait surtout perdu cette joie énergisante qui le faisait vibrer de tout son être. Lorsqu’ils parlaient à ses amis, ils s’efforçaient d’être dans son corps et dans ses mots, mais ces derniers résonnaient dans le vide de son existence. Elle était décédée lentement. Atteinte du cancer, il avait pu accompagner ses derniers soupirs. Il avait essayé de s’y préparer, mais n’avait au final guère réussi. Elle était son âme sœur. Celle qui rythmait ses envies. Celle dont les sourires lui conféraient de la force. Ils n’avaient jamais eu d’enfants. Sa maladie l’en avait empêché.

Ils avaient donc savouré chaque seconde de leur vie, sublimant chaque rire et chaque dispute. Après sa mort, il ne s’était d’ailleurs plus jamais querellé avec personne. Un flot d’heures étaient passées sans elle et sans oxygène. Il eut donc ce sourire quand la voiture le percuta. Il savait qu’il la retrouverait. Et il la voyait enfin.

Carine V.


Il était une fois des petits fantômes qui faisaient la course. Ils se posaient chacun sur un nuage et revêtaient une couleur symbole de leur humeur. Il y en avait un rose, un bleu, un vert, un jaune, un blanc et un noir. Si on levait attentivement les yeux au ciel, on pouvait voir scintiller leur reflet au soleil.

Au son de la cloche de midi, les voilà partis. Le vent les portait et on pouvait entendre leurs rires dans le souffle des alizés. Mais peu à peu, à force de se percuter, le ciel s’obscurcissait et Nuage noir gagnait. Nuage noir était toujours le premier, car il s’aidait de la tempête pour dépasser les autres.

Un jour, Nuage rose en eut assez. Elle demanda à ses amis de l’aider. Ils se mirent tous derrière elle et poussèrent de toutes leurs forces jusqu’à ce que Nuage rose dépassent Nuage noir malgré les assauts de la pluie et de la foudre.

Elle éclaircit alors le ciel de sa belle couleur rose et tous s’unirent en un bel arc-en-ciel. Les petits fantômes colorés pouvaient ainsi s’en aller satisfaits et retourner vaquer à d’autres activités.

Carine V.


— On est perdu.
— Bravo, Sherlock, qu’est-ce qui t’a aiguillé sur la voie ? râla Sophia.
— Bah. Déjà, c’est la troisième fois qu’on passe devant ce tableau…
— C’était ironique !
Baptiste se tut. Sophia était vraiment casse pied quand elle s’y mettait. Il ne savait pas trop depuis quand ils étaient là, tous les deux. Au début, c’était juste censé être une sortie en amoureux. Genre un urbex d’horreur où elle se serait accrochée à lui et il l’aurait rassurée. Mais là, ils tournaient juste en rond depuis une infinité de temps, et ils ne trouvaient pas la sortie.
Soudain, des bruits de pas se firent entendre, et Sophia lui prit la main.
— Voilà des gens, dit-il.
— Heureusement que tu me le dis, comment tu l’as deviné ?
— Les bruits de…
— La ferme.
Les pas s’approchèrent et ils distinguèrent une conversation.
— Ce lieu est vraiment hanté ? demandait une fille.
— Oui, tu ne connais pas l’histoire ?
— Non, raconte !
Baptiste et Sophia tendirent l’oreille.
— Hanté, chuchota Baptiste.
— Mais non. Les fantômes, ça n’existe pas.
Les voix reprirent.
— C’était un sombre soir de 2023, deux amoureux étaient venus ici pour se faire frissonner ! commença la voix masculine.
— Elle est bidon, son histoire. On est en 2023, ça marche pas de fou, râle Sophie.
— Chuuut.
— Mais la maison était alors habitée par un tueur en série.
— Mais ce n’est plus le cas ? s’inquiéta la fille.
— Je te protégerais, promit le garçon. Mais eux, personne n’a pu les protéger, et ils se sont fait égorger sauvagement !
— C’est horrible ! fit la fille.
Enfin, ils arrivèrent de leur côté du couloir, balayant les lieux de leur lampe torche. Sophie s’approcha.
— Hé, vous, là, vous ne sauriez pas où est la sortie ?
Mais ils ne la virent pas.
— Il parait que les fantômes des deux amoureux hantent encore les lieux depuis plus de vingt ans, et qu’il y seront coincés à jamais !

Baptiste frissonna quand les deux jeunes gens arrivèrent sur eux… et les traversèrent sans les voir, sans les entendre. Sophie se tourna vers lui, l’air éploré.
— Baptiste…
— Sophie, je crois qu’on est mort.
Cette fois-ci, Sophie ne trouva rien d’ironique à rétorquer.

Heilani


Tous la regardent, mais aucun ne la défie : Liliana la putain, l’indomptée.

Dans ce désert de sel et de roches, elle attend le signe : elle lui a promis la victoire.

Alors que le vent se lève, au loin, une tempête de sable pourpre les encercle. Elle sent la venue du messager, mais ne parvient pas à le percevoir. C’est un battement d’ailes, à peine perceptible, qui lui indique son arrivée. Elle détourne son regard sur sa main. Telle la caresse d’une plume sur sa peau, la phalène du bouleau s’est logée en son creux. Elle est là, Eshu est prête à l’entendre.

Alors lentement elle se rapproche du sol et du bout des doigts effleure la terre salée. Les hommes alentour se méfient. Délicatement, elle apporte quelques grains de sable et de poussière sur sa langue, puis fais glisser son index entre ses seins jusqu’à le laisser retomber sur le sol. Par ce geste, elle lui intime leurs libérations.

Au toucher, la Terre se met à gronder. Le sable vibre et la roche éclate dans un bruit sourd et lointain. La noctuelle n’a pas scié. Devant Liliana, la dune se déchire en une plaie profonde. Eshu accepte de les réveiller : toutes. De l’abîme, elle les invite enfin à taire leur faim.

Dans un vrombissement rauque, les âmes damnées se hissent et s’extirpent. Ce ne sont plus des hommes, mais des fauves. Ils assailliront ces guerriers et les mutileront. Ils donneront à ce champ de bataille le spectacle de la barbarie et de l’horreur de la vie que l’on soustrait de force : le chaos.

Les premiers spectres se dirigent déjà vers l’armée en déroute que Liliana regarde la phalène lentement se rapprocher vers son ventre gonflé. Eshu réclamera son dû, elle le sait.

Elle porte ses mains sur son abdomen, non loin de là où la phalène s’était installée, et tendrement commence à caresser le petit être qui s’y était logé.

Lorsque les cris de terreurs cesseront et que ce désert sera teinté de carmin, elle honorera sa part du marché : toutes ces morts contre la promesse d’une vie qu’elle enfantait.

Timothy