Raconter une histoire inspirée par trois dés Story Dice choisis ah hasard parmi les sets Fantasia et Heroes.
Il flânait entre les étals. Son écharpe cachait la moitié de son visage. Dans sa poche, ses mains tapotaient ses cuisses. Ses yeux le cherchaient. Nerveux, ils bougeaient à une vitesse ahurissante.
Entre l’échoppe de fleur et l’étal de pomme, il s’était arrêté. Son long manteau tombait jusqu’à ses chevilles, son col était remonté. Seuls ses cheveux subissaient l’assaut du vent. Il le voyait le chercher du regard. Il s’était caché là, hors de sa vue, tremblant.
Il prit une inspiration et sortit de l’ombre. Leurs regards se croisèrent. Le sourire jusqu’au yeux et les respirations calmées, ils se prirent par le bras et continuèrent ensemble leur flânerie.
Clotilde
Le clonage génétique, quel incroyable progrès ! Un progrès que le commun des mortels croyait inaccessible à cause d’une technologie balbutiante. En réalité et dans le plus grand secret, ses merveilles bénéficiaient déjà aux plus grandes fortunes de la planète. Se clonant à foison pour être à plusieurs endroits simultanément, pour défier la maladie et la mort, ces applications finirent par conduire à des déviances extrêmes, comme ces incroyables self-orgies.
Lorsque l’information fuita, ce fut l’apocalypse. Les marchés s’effondrèrent, bientôt suivis par les fondations mêmes de la société. Finalement, de ces monstrueuses pratiques de clonage, le seul bénéfice qu’en tirèrent les survivants fut qu’ils n’allaient pas manquer de protéines.
Vincent Corlaix
Écrire un texte utilisant la synesthésie, et les mots suivants : bleu
, amen
et piano
Les yeux clos, une brise légère dans mes cheveux, le doux balancier du rocking-chair me berçant, j’écoute les premières notes de piano. Les images naissent dans mon esprit, instantanément. Des nuances de bleu allant du turquoise à un marine lumineux ondulant tel des aurores boréales, vient ensuite le goût doux-amer des souvenirs. La musique se poursuit, plus rapide, sauvage. Les images changent, allant vers un bleu soutenu, dur, le goût laissant une note acide sur le bout de ma langue. Romain suspend sa main sur une ultime note, teintant mes yeux clos d’un bleu clair scintillant, une dernière note pétillante.
Barbara
Bleu, mon amour
Ta voix crépite et ton pouls me submerge.
Dans ces fragments amers qui lavent les tourments et violentent les papilles,
Bleu mon amour, je vacille.
C’est toi, ton chant qui m’étire
Ce piano qu’on chevauche, mais qui jamais ne se laisse lire.
Bleu, mon amour…
Bleu mon amour, je t’aime toujours.
Tim
L’amertume de la pluie s’étale sur le pavé.
Illumine les dalles.
Joue la mélodie tel un piano.
Chaque son devient couleur, au fond de ses yeux.
Rouge taule, gris carton, vert toit.
Le cliquetis des gouttes jaunes se confond au bleu pavé.
Chante alors la ville silencieuse
Plus de bruit
Les yeux fermés
Les mains vers le ciel, une nouvelle mélodie s’entame
Corps ne fait qu’un
Devient ville
Devient pluie
N’est plus lui
Se fond, se confond
Glisse et coule au sol
Devient flot sur les pavés
Caresse chaque interstice jusqu’à s’enfoncer au plus profond de la terre.
Absorbé
Clotilde
Assis sur le tabouret du capitaine, je scrute l’horizon. Mes mains courent sur les touches comme des vagues en furies, rouleaux et ressacs propulsant mon piano de mer au gré de ma partition maritime. Au-dessus de ma tête, couvrant tout l’horizon, l’amer de nuages forme comme une autre mer inaccessible, cachant l’assourdissant bleu du ciel. Ma musique clapote et écume, et j’erre de ci, de là, ivre et sourd. Un jour, peut-être, entendrais-je la terre ferme faire taire mon piano. Enfin.
Vincent Corlaix
Écrire un texte de trois paragraphes. Le premier sera au passé, le second au présent et le troisième au futur.
Les couloirs étaient longs. Elle les arpentait avec lenteur, caressait les murs du bout des doigts. Se cachait dans l’ombre des grandes poutres. La lumière de la lune éclairait un pas sur l’autre la moitié de son visage, se reflétait dans ses larmes.
Elle ne peut plus attendre, elle doit partir de cet endroit. Maintenant. Elle escalade le muret, ses mains s’enfoncent dans la mousse humide de la nuit. Elle laisse des traces de sang derrière dans son sillage. Se hisse au-dessus de tout. Se retourne une dernière fois, sourire aux lèvres.
Plus tard, ils retrouveront les cadavres qu’elle aura laissés derrière elle. Ils s’épancheront au-dessus de ces corps entassés, et se demanderons pourquoi, comment quelqu’un avait pu s’en prendre à une dizaine de bonnes sœurs. Et il ne se douteront jamais, car son calvaire avait été bien enfoui aux yeux du monde.
Clotilde
La nuit des temps et l’aube de notre histoire se confondaient. Nous étions pourtant déjà là, valsant sur les prairies immaculées, chantant sur les sommets acérés d’un monde à peine né, nous enlaçant au-dessus d’abymes marins aux mystères inavoués.
À midi, je te retrouve parmi le monde, ni jeune ni âgé, au firmament de son histoire. Tu es la même, et nos danses, nos chants, nos embrassades aussi. Même s’ils sont maintenant assourdis par le tumulte qui nous noie.
La nuit des temps et le crépuscule de notre histoire vont finir par se confondre. Nos pas ralentiront, nos voix s’éteindront, nos accolades se figeront. Nous ne ferons plus qu’un, puis plus rien.
Vincent Corlaix
Un participant va choisir un livre dans les rayonnages de la librairie. On ouvre une page au hasard et choisit un passage. Les participants doivent s’en servir comme point de départ ou chute de leur texte.
Extrait de « Du thé pour les fantômes » de Chris Vuklisevic, éd. Denoël :
Je l’ai vue. J’étais là-haut, sur ma poutre. Je n’ai pas voulu la croire, mais j’ai décidé de partir quand même. (page 171)
Elle m’avait dit que je la verrais errer au niveau du parc. Que si je m’y rendais assez tard, je pourrais l’apercevoir.
Cette masse spectrale.
Je la trouvais d’un ridicule presque adorable.
Mais je ne pouvais décemment pas la décevoir. Au pire je m’amuserais tout de même et profiterais de la vue.
Je me rendis vers deux heures au belvédère, au milieu du parc, et y grimpa. Mes mains s’accrochaient à la moiteur du bois. Je me hissais non sans difficulté sur la dernière poutre du toit.
La nuit était silencieuse. Je pus voir l’étendue du parc. Chemin, recoins et cimes des arbres. Le paysage était telle une mer de végétation. Et là, à l’intersection de deux chemins, au milieu de tout, je l’ai vue. J’étais là-haut, sur ma poutre. Je n’ai pas voulu la croire, mais j’ai décidé de partir quand même.
Clotilde
— Oui, monsieur le constable. Elle était bief là. Non, j’ignorais qu’elle était recherchée. Je ne me mêle que rarement des histoires des humains. Comment ? Oui, vous avez sans doute raison, on pourrait débattre de la question de l’humanité des sorcières. Mais, encore une fois, je ne me préoccupe guère de ces questions-là. Oui, oui, j’y viens… Elle m’avait donc assuré pouvoir me fournir une véritable pierre de lune à un prix défiant toute concurrence. Mettez-vous à ma place, c’était vraiment tentant. Donc je lui ai demandé à la voir avant d’acheter, histoire de ne pas me faire arnaquer. Alors, oui, je l’ai vue. J’étais là-haut, sur ma poutre. Je n’ai pas voulu la croire, mais j’ai décidé de partir quand même. Pas envie de perdre bêtement de l’argent dans un vulgaire galet translucide. Comment vous dites ? Le témoignage d’un vampire n’est pas recevable ? Sale spéciste, va !
Vincent Corlaix